Analyse des éditoriaux algériens sur le règne de Bouteflika

Otage d’une ambition étroite, celle de garder le pouvoir, l’équipe aux commandes depuis au moins deux décennies a échoué à donner au pays une vraie perspective historique, à lui offrir un destin.

Ce groupe au pouvoir et son oligarchie satellite se sont lentement enfermés dans un casse-tête particulièrement complexe : comment partir tout en restant, ou comment rester tout en partant, ce qui n’est pas forcément la même chose ? Avec ce corollaire, comment assurer ses arrières en avançant le dos tourné dans le sens contraire de la marche, tout en restant immobile face au temps, mais en donnant l’illusion d’avancer ?

Ce qui fait du régime algérien un modèle atomiste où tous les électrons qui tournent autour du noyau sont connus et la force de cohésion qui assure la stabilité de la matière toute aussi identifiée, il s’agit de la rente.

Comment déverrouiller ce système si bien ficelé ? Deux solutions, attendre la mort du proton, ce qui de l’avis des scientifiques n’a jamais pu être observé, ou casser le noyau par fission nucléaire, ce qui engendre beaucoup d’énergie, qui peut être fatal à tout le monde.

Les citoyens ont des repères tout à fait différents. Leurs salaires figés au moins depuis 2013 supportent annuellement des inflations qui sont d’au moins 4 à 6% en fonction des chiffres officiels. Leur perception est que l’inflation est beaucoup plus élevée que cela.

Le pessimisme ambiant prospère. Le nombre de «harraga» est en nette progression. La croissance économique postulée dans la loi de finances 2019 de 2,6% est réaliste, mais peut s’avérer exagérée. Elle couvre à peine la croissance démographique de 2,4%. Nous sommes particulièrement au bord de la stagnation.

Ce serait une autre année d’immobilisme. On aura toujours cette dualité. Les décideurs publics auront l’impression d’avancer lorsqu’ils auront en face d’eux cette dynamique.

Les citoyens auront l’impression de reculer, vu la lente dégradation du pouvoir d’achat. Mais en réalité, le système fait du surplace. Nous aurons besoin de prendre plus de risques, de tenter autre chose et de bouger dans la bonne direction (éviter l’effet brownien).

L’incertitude politique dans laquelle le projet du 5e mandat présidentiel engage l’Algérie et ses promesses d’impasse institutionnelle équivaut clairement à une hypothèque sur le moyen terme.

Le pays dispose d’inépuisables richesses en tous genres et d’énormes potentialités humaines. Il regorge d’intelligence. Mais, il est privé de l’essentiel. Un Etat juste et équitable, pourvu d’instruments démocratiques, collectivement élaborés, donnant la possibilité d’une adhésion libre et consentie des citoyens.

Aujourd’hui, il n’est plus possible de retarder l’échéance. Il n’est plus admissible de manquer le rendez-vous de l’Histoire. Il est vrai que la situation pousse plus du côté du désespoir que de celui de l’espérance. Est-ce une fatalité ? Non. Le souhaitable peut devenir le possible. Pour y parvenir, il faut faire de 2019 une étape politique où le triomphe de la nation doit l’emporter sur la victoire d’un seul groupe.

D’un point de vue de sécurité nationale, il est urgent de retirer le pilotage «courtérmiste» de l’économie algérienne à un président de la république qui ne pense qu’à sa gloire éternelle. Et qui est prêt à débourser chaque année 30 milliards de dollars des réserves de change et l’équivalent en dinars imprimés en excédents uniquement pour préserver l’équilibre précaire qui peut lui permettre d’espérer mourir dans la fonction de président dans un pays socialement pacifié. Trop cher payé à l’échelle d’une nation.

 

Andreï Touabovitch